Suite au 4e café thématique de Livres au Trésor, nous vous proposons de découvrir le témoignage de Mathilde Lévêque, spécialiste de la littérature d’enfance et de jeunesse.
Cet article est une adaptation pour le web du témoignage paru dans notre dernier 13 en Vue, le magazine de l’Université Paris 13.
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JR : Bonjour Mathilde, pouvez-vous vous présenter ?
ML : Bonjour, je suis Mathilde Lévêque, je suis maître de conférences en littérature à l’Université Paris 13 à l’UFR LLSHS et fais partie de l’équipe d’accueil Pléiade. J’enseigne la littérature et, plus précisément, la littérature d’enfance et de jeunesse qui constitue mon principal domaine de recherche.
“ Certes, ça n’a pas toujours été facile d’imposer ce sujet quand j’ai commencé mes études (…) mais j’ai eu une directrice de thèse formidable ”
JR : Avez-vous toujours travaillé là-dessus, est-ce que ça a été le point de départ de vos recherches ou y-a-t-il eu une évolution entre votre début de carrière et maintenant ?
ML : J’ai toujours travaillé en tant que chercheuse sur la littérature pour la jeunesse, lorsque j’étais étudiante, la question s’est posée après l’agrégation de trouver un sujet de recherche. J’ai beaucoup hésité : au cours de mes études, je suis plutôt partie sur la littérature du XVIe siècle, donc, a priori rien à voir avec les livres pour enfants, mais j’aimais toujours lire des livres pour enfants, je trouvais que c’était une littérature intéressante mais je ne pensais pas en faire un domaine de recherches et c’est une enseignante de l’agrégation qui m’avait donné ce conseil, en me disant qu’il fallait choisir un sujet qui passionne quand on voulait se lancer dans la recherche et, finalement, peu importe le sujet, à partir du moment où on traiterait le sujet avec passion et conviction, on le ferait bien. Donc, j’ai suivi ce conseil dont je la remercie encore aujourd’hui. Certes, ça n’a pas toujours été facile d’imposer ce sujet quand j’ai commencé mes études donc à l’époque en DEA puis une thèse – un DEA à l’Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle et la thèse à l’Université de Rennes 2 – mais j’ai eu une directrice de thèse formidable, Isabelle Nières-Chevrel , et j’ai travaillé dans le cadre de mon doctorat sur la littérature pour la jeunesse et j’ai travaillé sur la littérature pour la jeunesse de l’entre-deux guerres en France et en Allemagne. C’est un sujet qui a très peu fait l’objet de travaux et c’est aussi d’ailleurs un des avantages de la littérature pour la jeunesse lorsqu’on est chercheur : c’est un domaine encore assez peu exploré, beaucoup de choses restent à faire. En cela, c’est très intéressant et très stimulant.
JR : Justement, dans ce domaine, qu’est-ce qu’on cherche exactement, est-ce qu’il y a une grande idée, est-ce que vous allez vers quelque chose, il y a surement une problématique de base ?
ML : Oui, bien sûr, comme toute démarche scientifique, en physique, en mathématiques ou en médecine… on se pose des questions, on formule des hypothèses et on essaie de les vérifier. Sauf que nous, nos laboratoires, ce ne sont pas des laboratoires avec des grosses machines et autres éprouvettes. L’essentiel, c’est la bibliothèque qu’elle soit universitaire ou de recherche, la BNF par exemple ou encore une bibliothèque qui concerne des archives dans lesquelles les chercheurs en littérature travaillent beaucoup. En ce qui me concerne, je me pose beaucoup de questions, je travaille beaucoup sur les traductions ; par exemple comment a-t-on traduit pour les enfants les livres au cours des XIXe et XXe siècles ? Y a-t-il des manipulations, des transferts ? Qui traduit qui, comment, pourquoi, avec quels éditeurs ?… Et donc à partir de ces questions très générales, on entre après dans des détails, jusqu’à des détails de mots, on est là dans la micro-recherche. On est donc parfois dans la micro recherche pour voir comment se vérifient les hypothèses ou pas… comme dans toute démarche scientifique.
JR : Est-ce qu’il vous arrive de travailler avec des éditeurs, des écrivains pour leur apporter un point de vue… ?
ML : Mes recherches, comme je vous le disais, ont porté sur les écrivains de l’entre-deux-guerres, donc plutôt sur des écrivains ou des éditeurs qui ne sont plus là. Mais, comme j’aime bien travailler sur « ce qu’il y a derrière », je suis remonté jusqu’au XIXe siècle et là, j’ai participé à un projet financé par l’Agence nationale de la recherche sur un éditeur de Tours qui s’appelle Mame, qui n’existe plus mais qui a été un des plus grands éditeurs pour la jeunesse au XXe siècle. On parlait d’hypothèse tout à l’heure, la nôtre était : comment reconstituer l’histoire d’un éditeur quand a priori les archives ont disparues puisque l’usine avait été bombardée pendant la guerre. Nous avons pu entrer en contact avec les héritiers… Ça reste intéressant d’être en contact avec des éditeurs maintenant, mais ce n’est pas le versant « recherche » de mon travail, je suis plutôt sur la partie enseignement et formation, puisqu’à Paris 13, je fais partie de la petite équipe qui organise TEXTO, où on fait régulièrement venir des écrivains et depuis deux ou trois ans, je crois que c’est la troisième fois en 2015 où il y a une fois par an un auteur pour la jeunesse ou un illustrateur qui vient rencontrer tous ceux qui sont intéressés par la littérature à Paris 13.
Interview de Claire Franek et Marc Daniau invités de TEXTO “Tous à poils !”
JR : Je sais aussi que vous travaillez sur Livres au Trésor, est-ce que vous pouvez me parler de ce projet ?
ML : Il s’agit d’un fonds de livres pour enfants qui se trouve à la bibliothèque universitaire des sciences de l’Université Paris 13 en attendant le déménagement dans les nouveaux locaux. Au départ, il s’agissait d’un centre de ressources documentaires qui a été créé à la fin des années 1980 à la Bibliothèque municipale de Bobigny et qui malheureusement, pour des raisons de coupes budgétaires, a dû fermer ses portes.
“ Notre université est probablement la seule qui possède un fonds de 60 000 livres pour enfants avec un fonds professionnel disponible pour les étudiants, les chercheurs et les bibliothécaires ”
JR : C’était vraiment un fonds dédié à la recherche ?
ML : C’était un fonds dédié à la recherche et à la formation et principalement destiné aux bibliothécaires et aux enseignants. Implanté dans la bibliothèque municipale de Bobigny, Livres au Trésor était bien plus qu’une bibliothèque. Il a dû mettre fin à ses activités quand le Conseil général de la Seine-Saint-Denis a décidé de ne plus subventionner la structure. Le fonds assez colossal – 40.000 / 50.000 ouvrages – a été en très grande partie constitué par une bibliothécaire, Véronique Soulé qui a, par ailleurs, fait un travail formidable de promotion de la lecture et de la littérature de jeunesse. Ayant eu connaissance de ce fait, j’ai proposé à l’Université Paris 13 de s’intéresser à ce fonds et éventuellement de savoir s’il était possible de le récupérer puisque Bobigny ne savait pas quoi faire de ce fonds qui risquait d’être dispersé. Ce n’était d’ailleurs pas sans lien puisque l’université a une antenne à Bobigny. Je dois d’ailleurs dire que cette idée a reçu le soutien d’Elisabeth Belmas, soutien qu’elle continue à apporter à l’heure actuelle à ce domaine de recherche.
Je n’étais pas dans un terrain complètement vierge car la littérature et la culture de jeunesse sont des domaines de recherche à Paris 13 depuis de nombreuses années. EXPERICE, le laboratoire de sciences de l’éducation, travaille notamment sur le jeu ; l’Association française sur les livres et les objets culturels de l’enfance (l’Afreloce) fondée par des chercheurs de de Paris 13 a son siège sur Paris 13. Il y a donc, en quelques sortes, une tradition d’accueil de cette thématique, il me semblait donc logique que Paris 13 puisse développer ce domaine documentaire ; Jean-Loup Salzmann était lui-même également convaincu et est entré en contact avec la maire de Bobigny de l’époque, Catherine Peyge. Une convention a donc été signée entre Paris 13 et Bobigny pour que le fonds soit déménagé et arrive sur Paris 13 sur le site de Villetaneuse. Notre université est donc probablement maintenant la seule qui possède un fonds de 60.000 livres pour enfants avec un fonds professionnel et disponible pour les étudiants, les chercheurs et les bibliothécaires. Une clause de la convention est importante : le fonds est ouvert à tous les habitants de la Seine-Saint-Denis mais en consultation sur place.
JR : Est-ce qu’il y a des choses mises en place avec les écoles ?
ML : Ça prend du temps !… On est en train de mettre en place des rencontres avec les bibliothécaires de la Seine-Saint-Denis et les collègues de la BU ont créé les Cafés thématiques de Livre au Trésor ; il y aura quatre rencontres en tout cette année. Dans le cadre de ce projet, on a quand même comme partenaire la Bibliothèque Nationale de France, le Centre nationale de la littérature pour la jeunesse, ce qui nous aide énormément. On a commencé à avoir des contacts avec les écoles, on a un étudiant qui a fait un stage là-dessus ; cela prend du temps, c’est compliqué, mais on ne renonce pas… Je pense qu’on y gagnera à ce sujet quand le fonds aura déménagé, quand il sera dans une salle vraiment dédiée avec en prévision l’achat de bacs pour mettre les albums car ils sont de tailles très disparates… Pour le moment, ils sont à la BU sciences grâce à Véronique Palanché qui a accepté de prendre ces livres… les livres ça prend beaucoup de place et cette salle est étroite… !
JR : Pourquoi avoir choisi Maya l’abeille dans les cafés thématiques ?
ML : Tout le monde la connait !… C’est un personnage très présent de la littérature pour la jeunesse : on la connait sous la forme d’une abeille dessinée mise en animation dans une série télévisée qui repasse indéfiniment, elle-même adaptée en film l’année passée… Mais ce qu’on sait un peu moins c’est qu’elle a été créée en 1912 par un allemand, Waldemar Bonsels, qui a écrit Die Biene Maja und ihre Abenteuer, – Maya l’abeille et ses aventures -. Ce roman, maintenant tombé dans l’oubli, a eu un grand succès à l’époque. Ma recherche a eu lieu à rebours du transmédiatique : que s’est-il passé entre la création d’une petite abeille romanesque dans un roman pour enfant, en 1912, et ce qu’on en connait maintenant au gré des aléas et des propositions, tentatives et adaptations successives ?… Tout cela, on le retrouve dans les archives. Disney par exemple avait eu un projet qui n’a pas marché. C’est en 1925-1926 qu’un éditeur français a voulu la traduire et en faire une œuvre très moderne pour les enfants… j’ai eu accès à la correspondance entre l’écrivain originel allemand et l’éditeur français, s’ils sont d’accord ou pas… c’est très intéressant.
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JR : Pour l’aspect traduction, ça vous oblige à travailler avec des traducteurs ou vous parlez suffisamment de langues pour travailler seule ?
ML : Je parle anglais et allemand ce qui est déjà bien car la plupart de la littérature occidentale pour la jeunesse traduite en français vient des pays anglo-saxon. Pour l’allemand, je travaille sur les transferts entre la France et l’Allemagne ce qui m’intéresse beaucoup. Je lis aussi l’italien et j’ai quelques notions d’arabe. Comme on ne peut pas maîtriser toutes les langues, effectivement, on peut travailler avec des collègues traducteurs, par exemple sur des articles qu’ont écrit des collègues à l’étranger cela permet d’ailleurs de voir comment eux ont abordé les choses. Je regrette de ne pas parler norvégien par exemple car il y a toute une littérature norvégienne qui est formidable.
JR : Vous n’avez-vous-même jamais été tentée par l’écriture d’un livre pour enfant ?
ML : (rires) Surtout pas !… Quand on critique et qu’on décortique l’écriture des autres, – ce qui est plus confortable – on n’a pas du tout envie d’écrire !… Non, je ne suis pas du tout tentée, d’ailleurs, j’en serais vraiment incapable… Lire oui, j’aime beaucoup et j’adore le graphisme, mais écrire ou dessiner est vraiment un autre exercice il faut un talent particulier…
JR : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
ML : Oui, volontiers… l’Afreloce dont je parlais tout à l’heure et dont je suis maintenant la présidente depuis quelques années, a un site : http://magasindesenfants.hypotheses.org/ ainsi qu’une revue en ligne sur : http://strenae.revues.org/